Par Catherine de Voghel, psychologue et expert judiciaire
Souvent victimes silencieuses des violences subies par un de leurs parents et perpétrées par l’autre, les enfants en sont généralement très perturbés. En effet, il arrive que l’enfant victime de violences conjugales présente un ou plusieurs signes de traumatisme. Enurésie, cauchemars, sursauts, troubles du sommeil, irritabilité, dépression, anxiété… sont quelques-uns des symptômes que l’on peut observer. L’enfant étant dès lors non seulement témoin mais aussi victime de la violence conjugale devenue intrafamiliale. Dans cet article, nous allons nous intéresser au vécu des enfants victimes de violences conjugales.
L’enfant témoin de violence conjugale en est aussi victime
La manière dont les enfants vivent les violences conjugales va souvent impacter leur histoire. Votre petit (ou grand) sera généralement d’autant plus choqué qu’il s’agit de sa maman qui est victime des violences perpétrées par son papa. Car il est généralement attaché à ses deux parents et ne peut pas faire de choix entre eux. C’est ce que l’on appelle le “conflit de loyauté”. Son impuissance à réagir sera alors d’autant plus forte. Dans ce cas de figure, on observe souvent un état de sidération psychique chez le petit. Cela peut aussi être le cas chez les aînés de la fratrie.
La sidération psychique chez l’enfant victime de violences conjugales
Dans ma pratique en tant que psychologue, j’ai pu constater deux choses :
- L’impossibilité qu’a l’enfant de réagir lorsqu’un de ses parents est victime de l’autre parent peut donner lieu à un traumatisme ;
- Celui-ci est souvent encore plus important que s’il subissait lui-même la violence, de manière directe.
En effet, l’enfant victime de maltraitance peut utiliser des mécanismes de coping. Son psychisme peut développer une adaptation au comportement de la personne qui lui fait du mal. Par contre, il n’en est pas de même lorsque c’est une autre personne qui est visée.
Ainsi, on peut observer que le petit a tendance à se taire s’il reçoit des remarques à chaque fois qu’il crie. Il en est de même lorsqu’il évite un comportement qui pourrait déclencher la colère du parent violent. Mais lorsque la violence a été déclenchée par d’autres facteurs sur lesquels il ne peut pas agir, la sidération psychique apparaît d’emblée.
A noter que la sidération psychique s’accompagne généralement d’un trouble dissociatif. Les événements vécus viennent se loger dans la mémoire traumatique, ce qui va impacter la vie d’adulte.
L’insécurité chez l’enfant victime de violences conjugales
Au cours de son développement, l’enfant va vivre des événements qui donneront lieu soit à un attachement secure soit à des liens insecure. Si le lien qu’il entretient avec un de ses parents, voire les deux, est insécurisant, l’enfant vivra la majorité de ses relations sur le même mode.
Une fois devenu adulte, il sera souvent attiré par des personnes qui lui procurent ce sentiment d’insécurité. C’est quelque chose qu’il connaît depuis son enfance, il a appris à le gérer. Son psychisme reconnaîtra plus tard ce type de relation qui est devenu la norme à ses yeux.
Attention, notez bien que ce mécanisme est généralement inconscient. En effet, personne ne cherche intentionnellement à vivre une relation insécurisante. J’insiste bien sur ce point : ce mécanisme n’est pas conscient !
En grandissant, l’enfant ayant vécu des relations sur un mode insecure s’attachera donc inconsciemment à un type particulier d’individus. Ce seront généralement des personnes qui vont lui procurer des sentiments similaires à ceux qu’il connaît. C’est le cas si ceux-ci ont été vécus au côté d’adultes dont il était proche durant l’enfance. En l’occurrence, il s’agit de ses parents ou des substituts parentaux qui ont été responsables de son éducation.
Les troubles du développement chez l’enfant victime de violences conjugales
Si vous constatez un changement important chez un enfant ou plusieurs symptômes évoquant un trauma, il peut s’agir de troubles du comportement liés au vécu des violences conjugales. Si tel est le cas, il est temps d’agir.
Par exemple s’il se colle à vous, s’il pleure ou même hurle souvent “pour un rien”, s’il s’isole à l’école, s’il régresse (s’il “fait le bébé”), s’il est difficile avec vous ou d’autres adultes et surtout, s’il devient agressif. Il y a de fortes chances que cela soit dû au fait que l’enfant ait été fortement exposé aux violences conjugales et intrafamiliales.
Il convient alors de consulter un professionnel, voire deux : un médecin, de préférence pédopsychiatre, et un.e psychologue. Cela afin de prévenir l’aggravation des symptômes. Un examen psychologique pourra également être utile afin d’établir ou d’exclure un diagnostic de TSPT (trouble de stress post-traumatique). Un bilan psycho-affectif pourra également mettre en évidence des symptômes comme une dépression ou encore des troubles anxieux.
Un parent violent avec son conjoint ne peut pas être un bon parent
Certains Juges de la Famille rendent une décision catastrophique lorsqu’ils sont consultés au sujet de l’hébergement de l’enfant. En effet, il est courant que le parent auteur de violences conjugales soit considéré comme un bon parent. Le prétexte donné étant qu’il n’a pas montré de comportement violent envers l’enfant de manière directe. Malheureusement, ces décisions sont erronées. Elles ne tiennent pas compte de la violence indirecte atteignant l’enfant victime de violences conjugales.
Les conséquences de la violence conjugale sur le psychisme de l’enfant
Je l’ai déjà expliqué plus haut mais je tiens à insister sur ce point. D’après mon expérience en tant que psychologue auprès de nombreux enfants victimes, les conséquences des violences conjugales sur le psychisme de l’enfant peuvent être désastreuses. C’est ce que j’ai moi-même observé, que l’enfant ait assisté de visu aux violences conjugales ou qu’il les ait entendues. Le fait qu’il ait été présent dans la maison ou qu’il entende ses parents en parler est suffisant pour qu’il soit impacté.
Nous l’avons déjà évoqué : parfois même, les dégâts sont plus importants lorsqu’on a fait du mal à l’un de ses parents que si on s’en prend directement à lui ! Le père auteur de violences sur la mère en est le premier et le seul responsable. L’inverse étant bien entendu vrai également quand c’est la mère qui exerce des violences sur le père.
Sachant cela, peut-on dès lors affirmer qu’un parent violent avec l’autre parent peut être bon pour l’enfant ?
L’impossibilité de la résilience pour l’enfant victime de violences conjugales
Lorsqu’il est lui-même la victime directe de la violence physique ou psychologique de son père (ou de sa mère), l’enfant peut activer un mécanisme appelé résilience. En effet, il peut être capable de surmonter le traumatisme grâce aux réactions suivantes :
- S’évader dans son imaginaire ;
- Se concentrer sur ses résultats scolaires ;
- Développer sa force physique et mentale ;
- Etc.
Par contre, quand il s’agit de sa mère, ce mécanisme ne peut pas s’activer car il ne peut pas contrôler les réactions de celle qu’il aime le plus au monde : VOUS !
Si vous êtes victime de violences conjugales, il est donc primordial que VOUS activiez cette résilience chez VOUS en entamant un travail sur les raisons d’être de votre couple et sur vous-même. Et si cela s’avère nécessaire, c’est-à-dire si votre conjoint ne change pas son comportement, peut-être faudra-t-il envisager une séparation ?
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Aider les enfants victimes de violences conjugales
Si vous demandez de l’aide dans votre entourage et/ou si vous faites appel à un professionnel, cela vous permettra de surmonter vos propres traumatismes. Et cela évitera à l’enfant de devoir faire face aux conséquences de la violence que vous subissez vous aussi.
Je précise tout de même qu’il n’y a pas lieu de culpabiliser. Vous n’êtes pas responsable de cette violence, de même que vous n’avez pas choisi de grandir dans telle famille ou de naître avec telle ou telle caractéristique physique. C’est votre conjoint qui est violent, pas vous ! Par contre, vous pouvez réagir et même agir. Gardez bien cela en tête, cela vous donnera la force nécessaire pour surmonter les épreuves. Et cela en pensant non seulement à vous-même mais aussi à vos enfants.
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Sources :
- Voir les travaux de Muriel Salmona sur la mémoire traumatique et les théories de Bowlby et d’Ainsworth cités dans cet article.