Ombrelles

Elles passent de l’ombre à la lumière

Clovis Cornillac et Caroline Anglade

Le téléfilm « Après le silence » : hantées par l’intimité

Dans Après le silence, Jérome Cornuau ose briser les tabous en abordant un sujet de société trop souvent délaissé : celui du viol conjugal. Marina, jouée par Caroline Anglade, se rend au commissariat dans un élan de courage pour porter plainte contre le père de son fils, interprété par un Clovis Cornillac détestable. Ce téléfilm mêle subtilement force et fragilité, résilience et sororité.

La femme n’est la propriété de personne. Pourtant, Après le silence rappelle l’existence des conjoints se croyant tout permis, quitte à détruire les vies de celle(s) qu’ils prétendent aimer. Le premier plan du film dévoile l’héroïne, Marina, anxieuse à l’idée de rentrer dans le commissariat. Elle s’élance. On apprend très vite le motif de sa plainte : elle passe cette porte pour motif de viol conjugal.

Vaincre la peur de ne pas être crue

Pour dénoncer ces violences, la victime doit déployer énormément de solidité, de courage, et avoir un minimum de recul sur ce qui lui est arrivé. Ces violences étant subies à huit clos,  réussir à passer le cap de poser des mots sur son intimité la plus profonde, surtout non respectée, peut s’avérer très douloureux. C’est en cela que les bourreaux plongent leurs victimes dans un piège insidieux, détenant tout le pouvoir. Gregory sait – du moins, croit – que Marina se taira. Les viols conjugaux sont les plus durs à prouver, à être compris ou crus.

Plus tard dans le récit, quand l’héroïne ose tout révéler à sa mère, cette dernière lui répondra justement qu’elle trouve le mot viol « un peu exagéré », en rétorquant « ça arrive parfois dans un couple de ne pas avoir les mêmes envies aux mêmes moments, mais on peut faire un effort pour faire plaisir à l’autre ». Ce passage rappelle à quel point cette peur de prendre la parole est malheureusement légitime, susceptible d’être mise en doute à tout moment, même par les personnes les plus proches de la victime en question. Pourtant, en 2021, le nombre de viols en France s’élevait à 24 800, et plus de la moitié étaient des viols conjugaux.

Le bourreau et l’art du chantage

En plus d’être dépourvu de compassion, Gregory a toujours eu l’habitude de s’en tirer. Lorsqu’il reçoit la plainte, ce dernier nie en bloc, traite immédiatement Marina de folle. « J’ai jamais pris une femme dans la rue, je suis pas ce mec là ». L’agresseur joue avec les clichés, bien qu’il soit le premier au courant du sort qu’il a infligé. Marina lui répond avec force qu’il aura beau dire ce qu’il veut, ils savent tous les deux la vérité.

« T’es prête à envoyer le père de ton fils en prison. Quelle mère ferait ça ? ». Il la culpabilise en usant de son statut, avant de rajouter, devant leur fils Tom, dans un élan de manipulation : « T’as vu comme elle est jolie maman maintenant ? ». Gregory est prêt à tout pour faire flancher la mère de son fils, n’hésite pas un seul instant à tapper là où ça fait mal. Il la menace en lui demandant de retirer la plainte dès qu’il la croise, ira jusqu’à la poursuivre lorsqu’elle rentre chez elle.

© François Lefebvre  

Des agressions à répétition

Cet affreux mécanisme de chantage commence en réalité bien avant que la victime n’ose porter plainte. En fait, tout le processus commence par ce biais-là. C’est en découvrant les vices de la nouvelle relation de Gregory que le.a spectateur.ice retrace le terrible cheminement qu’ont enduré Marina et Samia, la précédente ex du bourreau. Un jour que Chloé, sa copine actuelle plus jeune que lui, rentre de soirée, Gregory commence à la toucher. Elle lui répond qu’elle est fatiguée. Il lui dit qu’il a envie, elle qu’elle veut dormir. Ce à quoi il répond « oui mais moi ça me ferait plaisir, t’as pas envie de me faire plaisir ? », tout en continuant. Témoins, tétanisés devant l’écran, on bouillonne tout en comprenant cet état de sidération dans laquelle il la met.

S’en suivront des viols à répétition, en faisant toujours culpabiliser davantage la victime. Même lorsque Chloé exprime clairement qu’elle n’a pas envie de lui. « Tu m’as chauffé toute la soirée, tu vas pas me laisser en plan là maintenant ? Sois gentille un peu s’il te plait. Je suis quoi pour toi ? Une carte bleue ? ». Ce soir-là, une fois de plus, elle s’excuse, il la viole. Avant de lui lâcher, juste après le crime, un immonde « Merci, ma poupée ».

Un agresseur, plusieurs vies brisées

À chaque moment où Chloé est susceptible de crever l’abcès, Gregory détourne toute tentative de discussion en lui offrant des cadeaux, des voyages. L’étau se referme. Il lui promet qu’il « l’aime comme un dingue ». Et la pire chose possible serait d’assimiler qu’il l’aime de cette façon-là.

Pendant son processus de plainte, Marina se rend dans une association d’aide aux femmes afin d’obtenir de l’aide. On lui explique concrètement que l’ex précédente de Grégory (en l’occurrence Samia) doit absolument porter plainte si elle a vécu la même chose, pour ouvrir une information judiciaire. Déterminée, Marina prend contact avec Samia dans le but de s’unir. Elle tombe nez à nez avec une femme dans le déni, sur la défensive. Une femme qui veut tout simplement se tenir le plus loin possible de cette période de vie qui a laissé trop de traces.

© François Lefebvre  

D’ineffables séquelles

L’enchaînement de deux scènes où Marina et Samia sont seules chacune devant leur miroir, pourtant hantées par leur bourreau, prouve à quel point les femmes ont toujours été des objets pour Grégory, à quel point les séquelles leur collent désormais à la peau. Samia a tout gardé pour elle et n’en a pas parlé à son nouveau compagnon : la honte prend le dessus, elle ne « veut pas qu’on la regarde comme une victime ».

Marina, elle, livre au commissariat qu’elle pensait qu’en partant tout irait mieux, mais que la souffrance ne passe pas. Les spectateur.ices en sont témoins : elle a la phobie d’être touchée à nouveau, se sent incapable de recommencer une relation stable même avec un homme qui lui plait énormément. Samia, elle, voit sa santé dégringoler, tousse depuis des mois « sans raison ». Ce téléfilm encourage à parler, afin de se décharger le plus vite possible de cette montagne de mal-être, « la laisser derrière », tant qu’il en est encore temps.

Le téléfilm Après le silence : une ode à la sororité

« Il me disait que j’avais un problème, ou que je l’aimais pas assez, que je devais être contente qu’il aie envie de moi comme ça. Il faisait pression jusqu’à ce que je cède. Et puis à la fin, je disais presque plus rien, pour que ça passe plus vite. C’était pareil pour toi ? ». Lorsque Marina lit sa déposition à Samia, on lit dans ses yeux que cette dernière se reconnaît dans chacun de ses mots. Elle finit par accepter de parler. Les femmes qui ont côtoyé Grégory ont toutes vécu la même chose, à très peu de choses près.

C’est aussi cette douleur commune qui leur permettra de tenir le cap, de se sentir moins seules et enfin comprises. Ensemble, entre ténacité et vulnérabilité, elles parviendront à trouver la force de porter leurs voix. « Pourquoi ce serait à nous de nous taire ? d’avoir honte ? ». L’héroïne ira même jusqu’à se rendre chez Gregory et Chloé, afin de la prévenir et lui laisser son numéro au cas où cette dernière aurait besoin d’aide.

Marina mène un véritable combat, celui d’une femme prête à tout pour abolir l’inadmissible impunité, épargner d’autres vies et venger les leurs. Afin que jamais ces violences ne recommencent.

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